J.-K. Huysmans
par Forain
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Georges Charles Marie Huysmans, dit Joris-Karl est né le 5 février 1848
à Paris. Il publie en 1874 Le Drageoir aux épices, recueil
de poème. Remarqué par Zola, il participe aux Soirées
de Médan, manifeste du naturalisme. Il rompt avec ce mouvement,
entrant dans le symbolisme avec À rebours. Il sombre dans le mysticisme,
publication de Là-bas, avant de sa conversion au catholicisme,
publiant En route, La Cathédrale ou L'Oblat. Retiré chez
les bénédictines, il meurt le 12 mai 1907 à Paris.
Dans A Rebours,
Huysmans par la voix de des Esseintes décrit ce que lui procure
les vers de Mallarmé :
"Des Esseintes approuva de la tête. Il ne
restait plus sur la table que deux plaquettes. D'un signe, il congédia
le vieillard et il parcourut quelques feuilles reliées en
peau d'onagre, préalablement satinée à la presse
hydraulique, pommelée à l'aquarelle de nuées d'argent
et nantie de gardes de vieux lampas, dont les ramages un peu éteints,
avaient cette grâce des choses fanées que Mallarmé
célébra dans un si délicieux poème.
Ces pages, au nombre de neuf,
étaient extraites d'uniques exemplaires des deux premiers Parnasses,
tirés sur parchemin, et précédées de ce titre:
Quelques vers de Mallarmé, dessiné par un surprenant calligraphe,
en lettres onciales, coloriées, relevées, comme celles des
vieux manuscrits, de points d'or.
Parmi les onze pièces réunies
sous cette couverture, quelques-unes, Les Fenêtres, L'Épilogue,
Azur, le requéraient; mais une entre autres, un fragment de l'Hérodiade,
le subjuguait de même qu'un sortilège, à certaines
heures.
Combien de soirs, sous la lampe
éclairant de ses lueurs baissées la silencieuse chambre,
ne s'était-il point senti effleuré par cette Hérodiade
qui, dans l'œuvre de Gustave Moreau maintenant envahie par l'ombre, s'effaçait
plus légère, ne laissant plus entrevoir qu'une confuse statue,
encore blanche, dans un brasier éteint de pierres!
L'obscurité cachait le
sang, endormait les reflets et les ors, enténébrait les
lointains du temple, noyait les comparses du crime ensevelis dans leurs
couleurs mortes, et, n'épargnant que les blancheurs de l'aquarelle,
sortait la femme du fourreau de ses joailleries et la rendait plus nue.
Invinciblement, il levait les
yeux vers elle, la discernait à ses contours inoubliés et
elle revivait, évoquant sur ses lèvres ces bizarres et doux
vers que Mallarmé lui prête:
« O miroir! « Eau
froide par l'ennui dans ton cadre gelée « Que de fois, et
pendant les heures, désolée « Des songes et cherchant
mes souvenirs qui sont «Comme des feuilles sous ta glace au trou
profond, « Je m'apparus en toi comme une ombre lointaine! «
Mais, horreur! des soirs, dans ta sévère fontaine, «
J'ai de mon rêve épars connu la nudité! »
Ces vers, il les aimait comme
il aimait les oeuvres de ce poète qui, dans un siècle de
suffrage universel et dans un temps de lucre, vivait à l'écart
des lettres, abrité de la sottise environnante par son dédain,
se complaisant, loin du monde, aux surprises de l'intellect, aux visions
de sa cervelle, raffinant sur des pensées déjà spécieuses,
les greffant de finesses byzantines, les perpétuant en des déductions
légèrement indiquées que reliait à peine un
imperceptible fil. Ces idées nattées et précieuses,
il les nouait avec une langue adhésive, solitaire et secrète,
pleine de rétractions de phrases, de tournures elliptiques, d'audacieux
tropes.
Percevant les analogies les plus
lointaines, il désignait souvent d'un terme donnant à la
fois, par un effet de similitude, la forme, le parfum, la couleur, la
qualité, l'éclat, l'objet ou l'être auquel il eût
fallu accoler de nombreuses et de différentes épithètes
pour en dégager toutes les faces, toutes les nuances, s'il avait
été simplement indiqué par son nom technique. Il
parvenait ainsi à abolir l'énoncé de la comparaison
qui s'établissait, toute seule, dans l'esprit du lecteur, par l'analogie,
dès qu'il avait pénétré le symbole, et il
se dispensait d'éparpiller l'attention sur chacune des qualités
qu'auraient pu présenter, un à un, les adjectifs placés
à la queue leu leu, la concentrait sur un seul mot, sur un tout,
produisant, comme pour un tableau par exemple, un aspect unique et complet,
un ensemble.
Cela devenait une littérature
condensée, un coulis essentiel, un sublimé d'art; cette
tactique d'abord employée d'une façon restreinte, dans ses
première oeuvres,
Mallarmé l'avait hardiment arborée dans une pièce
sur Théophile Gautier et dans L'Après-midi du faune, une
églogue, où les subtilités des joies sensuelles se
déroulaient en des vers mystérieux et câlins que trouait
tout à coup ce cri fauve et délirant du faune: « Alors
m'éveillerai-je à la ferveur première, « Droit
et seul sous un flot antique de lumière, « Lys! et l'un de
vous tous pour l'ingénuité.
Ce vers qui avec le monosyllabe
lys! en rejet, évoquait l'image de quelque chose de rigide, d'élancé,
de blanc, sur le sens duquel appuyait encore le substantif ingénuité
mis à la rime, exprimait allégoriquement, en un seul terme,
la passion, l'effervescence, l'état momentané du faune vierge,
affolé de rut par la vue des nymphes.
Dans cet extraordinaire poème,
des surprises d'images nouvelles et invues surgissaient, à tout
bout de vers, alors que le poète décrivait les élans,
les regrets du chèvre-pied contemplant sur le bord du marécage
les touffes des roseaux-gardant encore, en un moule éphémère,
la forme creuse des naïades qui l'avaient empli.
Puis, des Esseintes éprouvait
aussi de captieuses délices à palper cette minuscule plaquette,
dont la couverture en feutre du Japon, aussi blanche qu'un lait caillé,
était fermée par deux cordons de soie, l'un rose de Chine,
et l'autre noir.
Dissimulée derrière
la couverture, la tresse noire rejoignait la tresse rose qui mettait comme
un souffle de veloutine, comme un soupçon de fard japonais moderne,
comme un adjuvant libertin, sur l'antique blancheur, sur la candide carnation
du livre, et elle l'enlaçait, nouant en une légère
rosette, sa couleur sombre à la couleur claire, insinuant un discret
avertissement de ce regret, une vague menace de cette tristesse qui succèdent
aux transports éteints et aux surexcitations apaisées des
sens.
Des Esseintes reposa sur la table
L'Après-midi du faune, et il feuilleta une autre plaquette qu'il
avait fait imprimer, à son usage, une anthologie du poème
en prose, une petite chapelle, placée sous l'invocation de Baudelaire,
et ouverte sur le parvis de ses poèmes. "
BIBLIOGRAPHIE :
A rebours - J.-K. Huysmans - Editions Gallimard
collection folio.
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