LE DÉMON DE L'ANALOGIE
Des paroles inconnues chantèrent-elles sur
vos lèvres, lambeaux maudits d'une phrase absurde ?
Je sortis de mon appartement avec la sensation propre
d'une aile glissant sur les cordes d'un instrument, traînante
et légère, que remplaça une voix prononçant
les mots sur un ton descendant: « La Pénultième
est morte », de façon que
La Pénultième
finit le vers et
Est morte
se détacha de la suspension fatidique plus inutilement en le
vide de signification. Je fis des pas dans la rue et reconnus en le
son nul la corde tendue de l'instrument de musique, qui était
oublié et que le glorieux Souvenir certainement venait de visiter
de son aile ou d'une palme et, le doigt sur l'artifice du mystère,
je souris et implorai de vœux intellectuels une spéculation différente.
La phrase revint, virtuelle, dégagée d'une chute antérieure
de plume ou de rameau, dorénavant à travers la voix entendue,
jusqu'à ce qu'enfin elle s'articula seule, vivant de sa personnalité.
J'allais (ne me contentant plus d'une perception) la lisant en fin de
vers, et, une fois, comme un essai, l'adaptant à mon parler;
bientôt la prononçant avec un silence après «
Pénultième » dans lequel le trouvais une pénible
jouissance : « La Pénultième » puis la corde
de l'instrument, si tendue en l'oubli sur le son nul, cassait
sans doute et j'ajoutais en manière d'oraison : « Est morte.
» Je ne discontinuai pas de tenter un retour à des pensées
de prédilection, alléguant, pour me calmer, que, certes,
pénultième est le terme du lexique qui signifie l'avant-dernière
syllabe des vocables, et son apparition, le reste mal abjuré
d'un labeur de linguistique par lequel quotidiennement sanglote de s'interrompre
ma noble faculté poétique la sonorité même
et l'air de mensonge assumé par la hâte de la facile affirmation
étaient une cause de tourment. Harcelé, je résolus
de laisser les mots de triste nature errer eux-mêmes sur ma bouche,
et j'allai murmurant avec l'intonation susceptible de condoléance
: « La Pénultième est morte, elle est morte, bien
morte, la désespérée Pénultième »
, croyant par là satisfaire l'inquiétude, et non sans
le secret espoir de l'ensevelir en l'amplification de la psalmodie quand,
effroi! - d'une magie aisément déductible et nerveuse
- je sentis que j'avais, ma main réfléchie par un vitrage
de boutique y faisant le geste d'une caresse qui descend sur quelque
chose, la voix même (la première, qui indubitablement avait
été l'unique).
Mais où s'installe l'irrécusable intervention
du surnaturel, et le commencement de l'angoisse sous laquelle agonise
mon esprit naguère seigneur c'est quand je vis, levant les yeux,
dans la rue des antiquaires instinctivement suivie, que j'étais
devant la boutique d'un luthier vendeur de vieux instruments pendus
au mur, et, à terre, des palmes jaunes et les ailes enfouies
en l'ombre, d'oiseaux anciens. Je m'enfuis, bizarre, personne condamnée
à porter probablement le deuil de l'inexplicable Pénultième.