Stéphane Mallarmé un coup de dés...  
ENTRE QUATRE MURS
FANTAISIES
Stéphane Mallarmé  
 
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Stéphane Mallarmé

 

ENTRE QUATRE MURS

1859-1860

1. FANTAISIES


1

RÊVE ANTIQUE

Elle est dans l'atrium la blonde Lycoris
Sous un flot parfumé mollement renversée.
Comme un saule jauni s'épand sous la rosée,
Ses cheveux sur son sein pleuvent longs et fleuris.

Dans les roseaux, vis-tu, sur un fleuve bleuâtre,
Le soir, glisser le front de la pâle Phoebé?
- Elle dort dans son bain et sa gorge d'albâtre,
Comme la lune, argente un flot du ciel tombé.

Son doigt qui sur l'eau calme effeuillait une rose
Comme une urne odorante offre un calice vert
Descends, ô brune Hébé! verse de ta main rose
Ce vin qui fait qu'un coeur brûle, à tout coeur ouvert.

Elle est dans l'atrium la blonde Lycoris
Sous un flot parfumé mollement renversée
Comme ton arc d'argent, Diane aux forêts lancée,
Se détend son beau corps sous ses amants choisis.

Octobre 1859

2

SOURIRE

Oh! je viens! je viens! tu m'appelles,
Printemps, à l'auréole d'or!
Tu donnes à mon coeur des ailes!
Plein d'amour il prend son essor!
Sur un blanc fil de la vierge Avril, riant, descend du ciel! Pâques arrive et son grand cierge Brille déjà près de l'autel.

Rosette sous la mousseline Voile au soir son tétin vermeil; Et, sur sa lèvre purpurine, S'endort un rayon de soleil.

Comme elle, sourit la pervenche. Et, laissant son deuil hivernal, D'une couronne de fleur blanche L'aubépine se pare au val.

Sous une feuille qui l'ombrage La pâle violette dort. Près d'elle la brise volage Courbe les mille étoiles d'or.

Oublieuse de la faucille
L'herbe frissonne dans les prés
L'alouette joue et babille,
Babille sans se dire: " Après? "

Plus de neige! l'<ormeau> recueille
Cent nids de mousse, gai dortoir!
A leurs chansons, sa jeune feuille
Danse sous l'haleine du soir!

L'azur se rit dans la ramure
Égayant les branches du houx.
L'eau, sous son manteau vert, murmure,
Par[le] en cascades des cailloux!

La demoiselle au fin corsage
Se balance au bout d'un roseau,
Et, svelte, sur l'herbe qui nage,
Se mire au frais cristal de l'eau.

Le papillon, petit fou, vole
Sur son aile d'un bleu velours,
Pose un baiser sur la corolle
Des roses, nids de ses amours.

Le rossignol sous la feuillée
Gazouille l'hymne du matin
Sa compagne boit la rosée,
Rit, et berce son nid mutin.

Et toi, cher grillon, tu fuis l'âtre
Où ton chant m'endormait l'hiver...
Dans les hautes herbes, folâtre!
Sous le ciel bleu dis ton chant clair!

Oh! si sur la tiède mousse
Je voyais dormir une soeur!
Oh! si de son haleine douce
Le parfum enivrait mon coeur

Si je cueillais aux bords des ondes
Les myosotis isolés
Pour étoiler ses tresses blondes,
Comme les bluets dans les blés!

Si .....

- "Lisez donc le grand Racine
Et non l'homme à la Carabine ...*
Monsieur, encore un contre-sens! "
Je suis en classe! adieu, printemps.

Avril 1859 (classe du soir)
* V. Hugo. Allusion à sa chanson de Gastibelza.

3

VIENS!

Ballade

Un enfant dormait blond et rose.
L'oeil rêveur, un ange frôlait
De l'aile sa paupière close
Sur son front des feuilles de rose
Pleuvaient des doigts d'Ohl-le-follet!

Ohl-le-follet

" Viens danser la ronde des fées!
Des bras lactés sont ses liens
La nuit joue en fraîches bouffées
Dans leurs tresses d'or décoiffées!
Viens! "

L'Ange

" Viens chanter le Noël des anges!
L'encens en flots aériens
Met, quand murmurent nos louanges,
A leurs ailes de blanches franges!
Viens! "

Le follet

" T'emporte la lune morose
Sur un rayon aux rocs anciens!
T'emporte vers la fleur éclose
Un fil de vierge à l'aube rose!
Viens! "

L'Ange

" Que l'ange Espoir au pied du trône
Verse tes voeux avec les miens!
Cueillons les astres, lys que donne
Dieu pour faire aux morts leur couronne!
Viens! "

Quelle aile a-t-il pris pour suaire?
La vôtre, ange? Ohl, est-il des tiens?
Car, berçant lentement sa bière,
Sa mère sanglote en prière
" Viens!... "

Décembre 1859

4

CHANSON DU FOL

1

Vivent les castagnettes!
Tac! tac! tac! les clochettes,
Les boléros!

Per el rey, quand je danse,
Plus que la diligence
Et ses grelots,

Je sonne! - Par la ville
Aux doux soirs de Séville
Dig! il n'est pas

De nain qui plus lutine
Que le fou de Rosine
Ha! ha! ha! ha!

Dig! après la perruche
Qui sur son doigt se juche,
Son favori

C'est moi, qui toujours saute
Chante, bois, et ressaute,
Qui toujours ris!

Je n'atteins pas l'oreille
Du grand chien noir qui veille
La nuit, Pepo!

II

Dona fit ma marotte
De satin vert! Ma botte
D'or et de peau

Défierait la bottine
De soie où se dandine
Son pied mignon.

Le soir, quand à la brume,
Le citronnier parfume
Son frais balcon,

J'entends la sérénade,
Je ris et je gambade
Puis quand tout dort,

Quand la lune maligne
Rit et de l'oeil me cligne,
Vers Almandor

Je mène la comtesse,
Un ange, une tigresse!
Que de baisers

Sur le sein, sur la joue!
Et quand sa main dénoue
Sans y penser

Son noir corset de soie
Qui craque, et que de joie
L'oeil scintillant

Plonge au fond de la taille,
Quand le hibou les raille,
Moi, j'en vois tant,

Que mi senor l'Évêque
Au gros nez de pastèque
- S'il le pouvait!

Qu'un duc d'Andalousie
D'un oeil de jalousie,
- S'il le savait!

Lorgneraient ma marotte!
- Parfois je lui chuchotte
Des mots bien doux!

La dona de sourire,
De sourire et de dire
" Oh! petit fou!... "

Pour chasser une mouche
Quand je pose ma bouche
Sur son sein brun

Quand je sens de la rose
Qui sur son coeur repose
Le doux parfum,

Jamais sur mon visage
Palmada* ne voyage
Dig! de la main

De son amant fidèle
Pour lui comme pour elle
Je suis un nain!

III

Dig! Dig! Dig! alcades
Pendant les promenades
De senora

Je les envoie au diable!
- Au Diable - acte pendable!
Et caetera!

Quand le soleil nous lance
Ses rayons, je balance
Sur son beau col


Ou sur sa brune épaule,
En chantant un chant drôle,
Un parasol.

IV

Quand au bal tout est flamme,
Tout est or, tout est femme,
" Oh! petit fou,

" Sans tarder, en cadence
Danse-nous une danse!
Oh! Danse-nous!...

- Je lève ma babouche
Rose comme la bouche
Des senoras

Et, dig! dig! je sautille ....
Car tout cet or qui brille
Sur leurs beaux bras,

Car cette fine lame
Que porte au sein la dame
De l'alguazil,

Cette noire mantille,
Ce Xérès qui pétille
Et, vieux Brésil!

Tes cocos et grenades
Après danse et roulades
Seront à moi!

Lors, au seigneur Cramornes
Je ferai mille cornes
De mes deux doigts!...

Il dit que la gargouille
De l'Alcazar, que mouille
L'eau du bon Dieu,

A moins affreuses faces,
Fait moins laides grimaces
Que moi, Mordieu!

V

La nuit .... - Bonsoir mesdames,
Je cours puiser des flammes
Au rendez-vous!

Devinez mon amante! ....
- C'est la lune, ma tante,
Qui rit à tous!

Tral-lo-los!... Ah! l'alcade
Vient... Adieu cavalcade* ....
Dig! filons doux!

Mars 1859

* La scène est à un rendez-vous de chasse: il parle aux amazones.

" Tuez dix mille hommes, mais n'arrachez pas une patte à une araignée "

5

LA COLÈRE D'ALLAH!

Siben-abd-Alimah, dont le père est au ciel
Pour avoir aux mendiants distribué du miel
Quand, sous chaque épi blond faisant naître une épine,
Par les moissons planait l'Ange de la famine,
Siben-abd-Alimah, fils d'Hahr, aimait mieux voir
Jaillir sur le poitrail de son fier cheval noir
Le sang d'un ennemi qui râle une prière
Et du coursier piaffant déchire la crinière,
Que l'esclave enivrée, au son du gai tambour
Verser sur ses flancs nus et gonflés par l'amour
Le vin chaud du palmier qu'elle ne peut plus boire.
Le sang était sa soif, et le meurtre sa gloire.
Sur un lit de boas, il étendait cent Juifs
Et ses éléphants blancs broyaient leurs fronts plaintifs
Au son des trompes d'or, aux rires des sultanes,
Comme, au bois où tout craque, ils foulent les lianes.
Les aigles du Sahra, sur ses sanglantes tours
Que blanchissait la lune, arrachaient aux vautours
Les têtes des chrétiens, violettes et pâles,
Qu'entrechoquaient la nuit de lugubre[s] rafales.
Prosterné sous ses pas, le peuple hurlait : " Le Grand! "

Allah le regardait d'un oeil indifférent.

Quand il avait pâli dans les bras d'une amante,
Dormi dans ses cheveux, flots noirs et parfumés,
Quand le ciel empourpré, jetant sa sombre mante,
Fondait les astres blancs dans l'azur clair-semés,
Ce n'était pas l'oiseau chantant dans la rosée,
Ce n'était pas le vent sur la vague embrasée,
Ce n'était un baiser, ce n'était l'hymne saint
Qui chassaient le sommeil de son regard éteint,
Mais un tigre mordant l'or de sa jongle riche,
Ou roulant, en grondant, le crâne d'un derviche!
Alors prenant l'enfant dont les baisers du soir
Et les fades parfums faisaient languir l'oeil noir,
Comme un lys qu'on effeuille et qu'on jette à l'écume
Il la dépose nue en sa natte de plume
Aux pieds du tigre aimé qui, Sultan à son tour,
Boit la mort dans la coupe où Siben but l'amour!

Allah le regardait, froid comme un dieu de marbre.

Or un soir que dans l'ambre et l'or- au pied d'un arbre
Qui berçait trois pendus - il fumait en rêvant
Aux nonnes dont l'oeil bleu pleurait le noir couvent,
Non pour ce qu'au sérail elles ne restaient vierges,
Mais parce qu'au vieux cloitre, à la lueur des cierges
On pouvait être aimé sans être dévoré,
- Un soir que du chibouk un nuage azuré
ondulait follement sur son turban de moire,
Que la brise était calme et l'aile des nuits, noire,
Que les tambours de basque et le triangle d'or,
Que la danse, où la vierge en prenant son essor
Lance aux vents une rose effeuillée et tremblante
Qui sur les noirs cheveux tombe en pluie odorante,
Que tout jusqu'au ce diamant ailé,
Tout s'était endormi, tout s'était envolé, -
Les songes seuls frôlaient de leur aile argentée
Les longs cils de Siben - ... il voyait une fée ....
Quand un grillon gémit sur le front du rêveur
Qui soudain s'éveilla! - Furieux, au chanteur
Dans son chibouk brûlant Siben creuse une bière.

Dieu fronça le sourcil et lança son tonnerre.

Décembre 1859

6

BILLET DU SOIR

[manque]

7

CHANT D'IVRESSE

J'aime l'Espagne... -
Le clair champagne
Dans le cristal
Oriental
Mousse et pétille
Ma brune fille,
Ma Mourinas
Entre mes bras
Palpite et pâme
Son pâle sein
Nu, sous la flamme

De mes baisers, son[s] frein
Frémit. Minette,
Oh! qu'il est beau ton corps
Quand d'amour tu te tords!
Là - prend[s] ta castagnette
Et danse encor! Danse, danse,
ô brunette, Un boléro .

Bravo! Bravo!

Mon poignard. de Tolède,
Mon casino de roi
Tout l'or que je possède
Seront à toi.
Je t'aime, écoute ....
Toujours je t'aimerai!
Pour toi je verserai
Mon sang; belle, n'en doute!
Viens!... sur moi goûte

Le champagne au flot pur.
- Vague d'azur
Toi dont la blanche écume
Fut mère de Vénus

Dis-moi, quand à la brume
Ses blancs seins nus,
Au murmure de l'onde,
Palpitaient sous sa blonde
Chevelure, Ah! dis-moi
Frémis-tu, toi?

Frémis-tu comme danse,
Danse en cadence
Le champagne lutin
Sous la lèvre polie
De ma maîtresse au teint
D'Andalousie?

Janvier 1859

8

BILLET DU MATIN

à Mignonne

La nuit tord sur les prés ses cheveux pleins d'étoiles,
Et la rosée épanche en tombant de leurs voiles,
Aux lilas sa senteur, sa fraîcheur à l'oiseau,
- La nuit tord sur les prés ses cheveux pleins d'étoiles,
Toi, relève les tiens d'un souple et vert roseau.

On voit fuir par l'azur la lune vague et blanche,
Comme une fée, en l'eau qui mire la pervenche.
Le nid fait sa prière et tout va s'empourprer ....
- Vois glisser dans l'azur la lune molle et blanche,
- Un astre fuit, Mignonne, à toi de te montrer!

La rose aime le lys, - tous deux aiment Mignonne
La violette semble en la mousse une nonne,
Le grillon, franc luron, frappe à sa feuille en pleurs...
- La rose aime le lys, tous deux aiment Mignonne

[la suite est manquante]

9

MA BIBLIOTHÈQUE

[manque]

10

LES TROIS!

Ils étaient trois à face brune
Sous leur vieille tente commune
Les joyeux zingaris!
La lèvre au front de leurs maîtresses,
Gais, ils déposaient sur leurs tresses
Des baisers et des lys!

Elles étaient trois jeunes blondes,
- Sveltes comme un jonc dans les ondes,
Sur leurs tambours crevés.
Sous leurs cheveux épars, scintille
Un oeil bleu, comme à l'aube brille
Un bluet dans les blés!

Autour d'un foyer qui se meure
A la neige qui les effleure
Ils jettent tous leur chant!
Leur choeur monte avec l'étincelle
Narguant l'orage et sa sombre aile,
Comme la mouette le vent!

Un grillon suit leurs voix dans l'âtre
La lune, à leur gaze folâtre
Met des paillettes d'or
Sous les haillons les flammes blanches
Luisent, comme entre les pervenches
Un ver luisant qui dort!

Le silence vint, lutin sombre ....
Sur la sente les feuilles d'ombre
Bruirent sans accord
Le feu râla, tordant ses branches,
Puis montèrent ses flammes blanches
Comme l'âme d'un mort!...

Sur son sein effeuillant des roses,
Et, ses castagnettes mi-closes,
L'une, - elle avait seize ans
D'un pied nu frappa l'herbe verte
Et tourna .... la bouche entr'ouverte
Ses cheveux noirs flottants ....

Elle était belle et décoiffée,
Sous ses longs cils deux yeux de fée
Étoilaient cette nuit
Elle dansa jusqu'à l'aurore
Et tomba défaite, incolore ....
- Elle est morte depuis.

Ils mirent près de son noir masque
Sur sa tombe un tambour de basque
Plein de lierre et de pleurs
Et de leur tente une hirondelle,
Belle et vagabonde comme elle,
Va lui porter des fleurs!

On pleura... puis la gaîté folle
Revint, et sur une auréole
Danse l'ombre d'Emma!
Sa jupe est un rayon de lune .....
- Ils étaient trois à face brune
Le siècle le saura!

Novembre 1859

11

BALLADE

(Air: Je suis un enfant gâté)


J'aime une fille bohème
Au pied leste et fin :
Je la vis sous un roc blême
Qui sortait du bain
Dessous ses tresses d'ébène,
Noires ailes de corbeau,
Brillait un oeil aussi beau
Que la lune pleine!

L'eau ruisselait sur son sein,
Fleur sous la rosée!
Sur son genou purpurin
L'algue est renversée...
Là, muette et souriant
Tu contemplais sur la lame
Ton frais minois, rose femme,
Que berçait le vent!

Depuis mon coeur est de flamme!
Dans mon rêve au soir
Je vois le sein de ma dame
Effleurer l'air noir!...

Et, sur un rayon de lune
Qui sur mon front dort moqueur,
Comme un lutin vers mon coeur
Descendre ma brune!

Mais sur son aile diaphane
D'azur étoilé,
Je vois d'une courtisane
Le flanc mi-voilé!
Sur sa lèvre d'ange affable
Voltige un souris méchant

Comme le tien, ô Satan .......
- Si j'aimais le diable!

Juin 1859

12

LE LIERRE MAUDIT

Ballade

Sous un vieux lierre où le roitelet chante
Rit, comme un nid, une tour en débris.
Dieg est parti pour la guerre sanglante
Avec Ponto, sa cavale au flanc gris,
Son coeur brûlant, sa carabine fière!
L'âtre se meure au chant de sa Mourras.
- Au clair de lune, allez, brunes dopas
Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère.

Elle voit fuir de l'âtre une étincelle
Elle entend fuir de ses fils un: " Adieu... "
Un bouclier que la hache dentèle Comme à leur père est leur berceau!
- " Mon Dieu! " La triste nuit! quelqu'un dort en sa bière
" Au vieux beffroi j'entends tinter un glas! " -
Au clair de lune, allez, brunes donas [ :]
Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère.

" Ô chers enfants, vous qui rêvez aux anges,
" Dormez riants, sans entendre l'airain!
" Ciel! il murmure aux nuits des mots étranges!
" Ah! si don Dieg ..... - non, son astre est serein ....
" Quand il me prit un soir au monastère,
" Il dit aux cieux: Mon astre, ne meurs pas! "
- Au clair de lune allez, brunes donas
Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère.

" Or l'astre ami protégea sa maîtresse!
" La poudre au flanc volait notre Porto
" Aux blancs reflets de la lune traîtresse
" Je vis dans l'algue aux bords verts d'un ruisseau
" Le turban d'or des Maures en prière
" Et j'entendis, ô moines noirs, vos pas!
- Au clair de lune allez, brunes dopas
Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère.

" L'astre brillait dans les branches bleuâtres
" Au sein de Dieg aurais-je pu pâlir?
" Du moine sombre, ou du Maure sans âtres
" Le plus impur .... je ne puis le trahir!
" Qu'être nonnette ou preste bayadère
" J'aimerais mieux, Diable, être en tes grands lacs! "
- Au clair de lune, allez, brunes dopas;
Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère.

" Oui, dans tes lacs!... " à sa vive parole
Le son du cor, aux rocs noirs, fit écho .....
Du pur berceau se voila l'auréole...
Mounas trembla, puis vit un hidalgo!
- " Pleurez, dit-il[,] sous votre toit de lierre .... "
- " M'annoncez-vous de don Dieg le trépas?... "
- Au clair de lune, allez, brunes doras
Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère.

" Don Dieg!... eh! tiens, nos tentes sont communes,
- Sauf son harem - à l'ombre du drapeau!
" S'il était mort .... ce serait sur ses brunes!... "
L'hôte portait plume blanche au chapeau,
Et se drapait dans sa pourpre pour plaire!
Sa pourpre avait des trous du haut en bas!...
- Au clair de lune, allez, brunes douas
Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère.

" Et sa Mouftas!... " gémit la mère en larmes.
- " J'étais prophète!.. on pleure, bel oeil noir,
" Sur les longs jours qu'on ignora mes charmes!
" Je vous aime!... Oh! venez à mon manoir!
" Dans l'ombre, au ciel se dresse ma vieille aire
" Comme un vautour sur le champ des combats! "
- Au clair de lune, allez, brunes doras
Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère.


- "Ton nom?... non, fuis!.. Mon Dieg..." - " Il t'abandonne! "
" Je l'aime encor: lui, n'a pas pu changer! "
- " L'amour trompé ne veut pas qu'on pardonne. "
- " Oh! je vous hais!... mais je dois me venger! "

Mounas pleurant murmure une prière
Au pur berceau... baise deux petits bras...
- Au clair de lune, allez, brunes donas
Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère.

La gorge au vent, la blonde sous la mante
De l'hidalgo fuyait, pleurant encor
Un baiser vint sur sa gorge tremblante
Et dans les airs s'élança l'homme au cor
Son vol traçait un sillon de lumière ....
Mounas frémit... c'était don SATANAS!...
- Au clair de lune, allez, brunes donas
Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère.

Le beffroi noir jeta sa voix aux ombres ....
Un spectre blanc parut sous un arceau
L' astre de Dieg luit sur les chênes sombres.
- " Ton époux, femme! 6 mère, ton berceau!... "
Le spectre dit et sur la froide pierre
Lança Satan et son amante, hélas!
- Au clair de lune, allez brunes donas
Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère.

Le sein d'un aigle, ô Mouftas, fut ta tombe!
Satan, riant, vola vers ses enfers .....
Le spectre pâle a, plus qu'une colombe
Sur son nid mort, versé de pleurs amers ....
Mais tous ses pleurs n'ont des feuilles du LIERRE.
Démon, lavé le sang que tu versas!
- Aux clairs de lune, allez, brunes donas
Le sylphe dort aux fleurs de la bruyère!

Juin 1859

13

INDE

[manque]

14

LOEDA

Idylle antique

La brise en se jouant courbe les jeunes fleurs,
Le myrthe de Vénus embaume les prairies,
Et l'onde s'enfuyant dans sa rive fleurie
Murmure son amour aux herbages en pleurs.

Le soleil de sa pourpre embrase la colline,
Philomèle bercée aux branches du laurier
Jette ses derniers chants au printemps qui décline
Dans les rochers se perd la voix du chevrier.

Effleurant le gazon de mille pieds d'albâtre,
Les nymphes en riant fuient un faune lascif
L'une d'un luth divin tire un accord plaintif
L'autre saisit au vol un papillon folâtre.

Loeda, le front rêveur, voile son sein vermeil
Comme un marbre sacré de longues tresses blondes,
Loeda, que ses soeurs croient dans les bras du sommeil
Rit au coquet portrait que balancent les ondes

" Le pampre n'a vingt fois verdi dans mes cheveux,
" Je suis à mon printemps et personne ne m'aime!
" Pauvre Loeda, ton coeur doit donc vivre en lui-même!
" Aux doux soirs, nul baiser ne couronne mes voeux!

" Sous le sein de Tyndare aucun feu ne siège...
" On me croirait sa fille! - Oh! pour les têtes d'or
" Les nuits sont sans bonheur près des cheveux de neige.
" Il aima trop, enfant: vieillard, sa flamme dort! "

Le tambourin léger, les flûtes doriennes
Éveillent la rêveuse .... elle sourit au bruit,
Puis, égayant son oeil dit aux musiciennes
" Chères soeurs, l'onde est fraîche : avant qu'il ne soit nuit

" Folâtrons en cette eau dont la fraîcheur repose!
" Un chalumeau de Pan à celle dont la main
" Fendant l'onde qui dort viendra parer mon sein
" De cette fleur humide! " Elle dit : une rose

Vole et ride le flot... les nymphes à sa voix
Rasent de leurs seins nus l'eau qui frémit d'ivresse.
A leurs doigts blancs la fleur échappe mille fois ....
Lys la saisit... La flûte à Lys la chasseresse!

Non: un flot la ravit .... : Sortant des verts roseaux
Un col flexible et blanc se courbe et plonge en l'onde...
La fleur que la fraîcheur, comme au matin, inonde
Pare le bec d'un cygne et vogue sur les eaux.

Lys pâlit interdite et ses soeurs sont muettes!
" Ô Loeda!... " dit l'oiseau " laisse-moi sur ton sein
" Poser avec la fleur un baiser! .... Tu rejettes
" Ce voeu? c'est mon prix! Non : ton coeur n'est point d'airain!

" Le chalumeau des bois est un don vain au cygne
" Quand il chante à l'aurore, il se tait au couchant...
" Las! par sa mort les Dieux font expier son chant!
" A lui l'amour! son feu de tes charmes est digne. "

Loeda rougit, tourna son oeil bleu vers le pré,
Et vit qu'elle était seule. Il est soir : des dryades
L'essaim gracieux dort en son antre sacré .....
" Je t'aime! " dit l'oiseau, " ravi, sous les cascades

" J'ai vu l'eau ruisseler sur ton corps, de mon nid!
" Je t'aimai... " murmurant cette parole douce
Il ploya son blanc col moelleux comme la mousse
Autour du sein brûlant de la nymphe qui rit.

Loeda voit à son front scintiller une étoile!
" Qui donc es-tu? qui donc? cygne au baiser de miel? "
Dit-elle en palpitant. - " Ton amant! " - " Oh! dévoile
" Ton nom, coeur enivrant! " - " Lceda, le roi du ciel! "

Jupiter!.. à ce nom, mollement son sein rose
Plein d'amour se noya dans le sein ondoyant
Du cygne au col neigeux qui sur son coeur riant
Cueille d'ardents baisers. Sous son aile il dépose

La nymphe frémissante: ils ne forment qu'un corps.
Loeda se renversa, la paupière mi-close,
Ses lèvres s'entrouvrant... sourit dans cette pose...
- Et la nuit tomba noire et voila leurs transports.

Avril 1859

15

AU BOIS DE NOISETIERS

Chanson

Au bois où sur les violettes
La lune étend son linceul argenté
Brune, viens cueillir des noisettes!
Viens! - Mêlera le rossignol d'été
Ses chants perlés à ta risée!
Viens! - Mouillera ton bras blanc velouté
Le lierre où tremble la rosée!

Ange, en odorantes bouffées
Le vent du soir jouera par tes cheveux!
Et sur tes nattes décoiffées
Fera neiger l'aubépin odorant!
Et, folle et boudeuse coquette,
Sur votre lèvre on prendra - <si je peux!... ->
Un baiser avec la noisette.

Février 1860



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