FRISSON
D'HIVER
Cette pendule de Saxe, qui retarde et sonne treize heures parmi ses
fleurs et ses dieux, à qui a-t-elle été ? Pense
qu'elle est venue de Saxe par les longues diligences d'autrefois.
(De singulières ombres pendent aux vitres usées.)
Et ta glace de Venise, profonde comme une froide fontaine, en un rivage
de guivres dédorées, qui s'y est miré ? Ah l je
suis sûr que plus d'une femme a baigné dans cette eau le
péché de sa beauté; et peut-être verrais-je
un fantôme nu si je regardais longtemps.
- Vilain, tu dis souvent de méchantes choses.
(Je vois des toiles d'araignées au haut des grandes croisées.)
Notre bahut encore est très vieux : contemple comme ce feu rougit
son triste bois; les rideaux amortis ont son âge, et la tapisserie
des fauteuils dénués de fard, et les anciennes gravures
des murs, et toutes nos vieilleries ? Est-ce qu'il ne te semble pas,
même, que les bengalis et l'oiseau bleu ont déteint avec
le temps?
(Ne songe pas aux toiles d'araignées qui tremblent au haut des
grandes croisées.)
Tu aimes tout cela et voilà pourquoi je puis vivre auprès
de toi. N'as-tu pas désiré, ma sur au regard de jadis,
qu'en un de mes poèmes apparussent ces mots « la grâce
des choses fanées » ? Les objets neufs te déplaisent;
à toi aussi, ils font peur avec leur hardiesse criarde, et tu
te sentirais le besoin de les user, ce qui est bien difficile à
faire pour ceux qui ne goûtent pas l'action
Viens, ferme ton vieil almanach allemand, que tu lis avec attention,
bien qu'il ait paru il y a plus de cent ans et que les rois qu'il annonce
soient tous morts, et, sur l'antique tapis couché, la tête
appuyée parmi tes genoux charitables dans ta robe pâlie,
ô calme enfant, je te parlerai pendant des heures; il n'y a plus
de champs et les rues sont vides, je te parlerai de nos meubles... Tu
es distraite ?
(Ces toiles d'araignées grelottent au haut des grandes croisées.)