Stéphane Mallarmé un coup de dés...  
ENTRE QUATRE MURS
ODELETTES - STANCES
Stéphane Mallarmé  
 
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Stéphane Mallarmé

 

IV - ODELETTES -STANCES

1

Réponse improvisée

AVEU

Pour moi l'âge d'or s'est enfui,
Où je rêvais, ma lyre
Sur mon sein! cette aurore a lui
Où j'aimais à redire
En cadence ris, amours, pleurs
Où je croyais aux anges
A l'aile étoilée, où les fleurs
Disaient des mots étranges
A mon coeur! Oh! depuis lors
Tout est changé! La fille
Pure, adieu! Adieu, rêves d'or!
- Mais quand le vin pétille
Quand la grisette pâme, alors
Je me réveille: au verre
Je vais demandant mes transports!
- Mon luth ne sut que la prière!

Février 1855

2

Improvisés

VERS ÉCRITS SUR UN EXEMPLAIRE
DES CONTEMPLATIONS

La France*, Hugo, déjà d'un noir linceul te voile,
Comme l'on voile un mort!
La vipère en sifflant bave sur ton étoile,
Et l'oison-vautour** mord
De son bec écumant les cordes de tes lyres!
Hugo! Hugo! la voix
Du luth qui pleure un ange au ciel ravi, ta fille
Dormant sous une croix,
Est une voix qui met au coeur bien des délires,
A l'oeil bien des sanglots!
Non! - Son astre en la nuit plus qu'un soleil scintille, " Il vit!.. " chantent les flots!

Février 1859

* " La France: nous disons les professeurs de belles-lettres et les maîtres d'école

** " L'université - est-il besoin de le dire? "

3

Réponse improvisée

A P***

Puisqu'un coeur ne bat pas sous ton sein, qui respire
Plus froid qu'un marbre de tombeau
Puisque, quand un génie aime, pleure, ou délire,
Ta langue ne dit point: c'est beau!..

Puisque tu ne sens pas, puisque tu n'as pas d'âme
Puisque ta tête est un luth d'or
Beau, mais sans voix ni corde, un encensoir sans flamme,
Malheur!.. - non, je te plains encor!

Mars 1859

4 A Esp.

RÉPONSE

Je lisais tes beaux vers : - ton coeur me fit écho,
Tu trouves froide aussi la classique tisane
Ce soir-là, je chantais un corsaire, Fosco.
Roi des mers; qui mieux est, roi d'une courtisane.

Le vieux Juif Ismaël déjà lançait son or
Aux flots noirs, et mourant, maudissait son étoile
Et Pépita la pâle, aux pleurs donnant essor
Pour la vie a couvert ses cheveux blonds d'un voile!

Tous deux à l'espérance avaient fermé leur coeur.
Oh! l'espoir, cette brise au frais parfum, qu'un ange
Souffle sur notre coeur comme sur une fleur,
Qui lui donne la vie et des chagrins le venge!

Et je te vis, comme eux, voguant sur ton esquif
Interroger le flot, l'âme grosse d'alarmes.
Va! navigue en riant et nargue le récif!
Sur des autans douteux ne verse point de larmes!

Eh! quoi faudrait-il donc s'endormir en son nid,
Quand hurle le mistral qui peut vous casser l'aile?
Parce que le soleil en aveuglant punit,
Faut-il baisser les yeux, sans ravir l'étincelle?

Non! ces sombres terreurs chasse-les de ton coeur
Tu vois l'étoile au ciel : prends ton vol et t'élance!
Traverse les éclairs et redescends vainqueur
Portant l'astre à ton front et chantant l'Espérance!

Mars 1859

5

NE RIEZ PAS!

Stances

Ah! lorsque sous les pleurs d'un oeil qui va s'éteindre
S'allume un feu si pur que c'est un feu du ciel!
Lorsque le teint perdant ce qu'il a de mortel
Séduit par son éclat, fleur qu'on aime sans craindre,
Mais qu'on vous dit : " Je meurs! j'entends tinter un glas!.. "
Ami, ne riez pas!

Car Dieu met dans les coeurs des présages funèbres!
" Tu reviendras à moi! " dit-il à l'âme en deuil,
Et l'âme entend gémir le marbre du cercueil!
Car on sent que le corps s'en retourne aux ténèbres,
Et qu'une aile s'azure, au souffle de la mort,
Pour prendre son essor!

Car celui, jeune ou vieux, dont l'oeil plein de tristesse
En contemplant l'azur rayonne d'un éclair,
Car celui qui sourit, mais d'un sourire amer
Quand on lui montre au loin l'avenir et l'ivresse,
A qui son ange dit: " Vole, où l'on aime en paix!... "
Ne se trompe jamais!

4 avril 1859


Oh! si dans ton amour quelqu'une de ces roses
Qui, riant au matin, jonchent la terre au soir,
Cherche, quand le vent glace, un doux rayon d'espoir,
Aime!... Aux baisers demain ses lèvres seront closes!
Mais que ton feu soit pur, pur comme un feu d'autel!
Car ce coeur est au ciel!

5 avril 1859

6 A M. pour étrennes

ON DONNE CE QU'ON A

Le riche au pauvre, au froid automne,
Jette l'or où brille l'espoir
Le mendiant lui fait l'aumône
Avec sa prière du soir!
L'Aube de sa paupière rose
Sur l'églantier épand ses pleurs
L'églantier donne à l'aube éclose
Ses chants d'oiseau et ses senteurs!

Au goëland rasant l'écume
La vague offre un nid de corail
L'oiseau laisse une blanche plume
Au flot que fend son bec d'émail.
Le peu qu'il a chacun le donne!
Enfant, c'est un baiser rieur
Amant, des lilas en couronne
Poëte, un écho de son coeur!

28 décembre 1859


7 à E. R.

CAUSERIE D'ADIEU

C'est sur les murs croulants que naît la fleur d'azur,
Pour eux est son parfum : elle leur meurt fidèle!
C'est sur les vieilles tours que niche l'hirondelle
Aux carillons mêlé son chant nous vient plus pur!
Le poëte et l'oiseau, la fleur et le poëte,
Ami, sont frères sous le ciel
Va donc dans ton vieux Caen chanter un vieux Noël,
Mais parfois retourne la tête!
Caen, le soir, dans les flots par la lune argentés
Mouille en dormant la mante grise
Qu'ont jetée autrefois sur son antique église
Les ans, alcyons emportés.

C'est là qu'on rêve! ici, la sotte bourgeoisie
Comme une courtisane a plâtré le vieux Sens!
C'est là qu'on rêve, où dort sur les flots gémissants
L'étoile, comme en toi la sainte poësie!

Ainsi qu'au même roc chaque nuit tu verras
Ami, mourir la même écume,
Quelqu'oiseau qu'ait ton toit, la joie ou l'amertume,
Reviens à ceux que tu laissas!
Que ta pensée au soir vole vers leurs pensées!
Car ils déplorent interdits
Ces jours, où l'arbre mort perd ses feuilles glacées
Et le coeur, ses derniers amis!

Souviens-toi! Dieu sur nous mit une lueur sainte,
Le souvenir! - qui fait que notre coeur devient
Un éden, où l'absent parmi les fleurs revient,
Un cercueil, où les morts vivent leur vie éteinte!

Novembre (classe de Logique)

Ces vers sont bien mauvais! - mais j'entendais parler
Morale et vérités .... moi qui n'en vois aucune,
Sauf que je suis ici pour fumer et chanter,
Que le rhum est divin, que divine est la brune,
- Sans dédaigner la blonde - et que, quand vient le soir,
La meilleure morale est de n'en pas avoir!


8

DONNEZ!...

Ayez pitié de moi!.. La débauche aux seins nus
Qui vend au prix de pleurs, hélas! son fatal charme,
Cachant sous chaque rose une ride de plus,
Sous chaque baiser une larme,

Fit de moi, me glaçant avant la fin du jour,
Une fleur sans parfum, un coeur sans poësie!
Pour me ravir au mal, pour me rendre à la vie
Il ne faut qu'un rayon d'amour!
Donnez! - Oh! donnez-moi! - comme au vieillard on lance
L'hiver en passant l'or où brille l'espérance!
Que ce soit une aumône, E…, de votre coeur
Si vous ne sentez mon malheur!

Mai 1859

9 Pour la fête de ma mère

LES TROIS COURONNES

A l'aube de nos jours, l'ange qui du berceau
Fait, sous son aile blanche, un autel qu'on encense,
Mère du ciel qui berce en priant notre enfance,
Quand notre mère dort, sous un saule, au cercueil,
Posa sur notre front qui ne connaît le deuil,
Une couronne blanche aux rayons d'espérance,
C'est l'auréole d'innocence.

Quand du berceau d'hier rasant le pur contour
S'enfuit, voilé d'azur, l'essaim des pleurs moroses,
Quand l'ormeau qu'avec vous vit naître un même jour
Peut supporter des nids dans ses feuilles mi-closes,
Quand, naïve colombe, on se rit de l'autour;
Vient une main qui sème en nos cheveux des roses,
C'est la couronne de l'amour.

Quand on voit chaque soir comme les hirondelles
Une illusion d'or fuir nos toits sans printemps,
Quand, vivant d'autrefois, aux ondes éternelles
Comme un flot qu'un flot chasse on voit couler ses ans,
Et le soleil s'éteindre en ces flots infidèles,
Le temps vous met au front, vieillard aux froides ailes,
La couronne de cheveux blancs.

Comme à toutes les fleurs la fraîche aurore épand
Ses gouttes de rosée,
Ta première couronne au front de chaque enfant,
Mère, tu l'as posée!
Tous ceux qu'aime ton coeur sentent le doux parfum
Qu'exhale la seconde.
L'autre.... Oh! le soir, prions le Seigneur en commun
Que sa flamme féconde
Dore au lointain le jour qui te la doit tresser!
Mais qu'avant bien des fêtes
Donnent, à toi, des fleurs : à mes sueurs un baiser
Sur leurs riantes têtes.

Juillet 1859

10

LES TROIS PRIÈRES

[manque]

 



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