Edgar
Poe |
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La signature ici montrée a été prise au bas d'une
lettre, à cause de l'arabesque du paraphe plutôt que comme
échantillon de l'écriture exquise. Ces deux mots célèbres
que lie un trait significatif tracé par la main du poëte,
conservent l'initiale
parasite de l'autre mot : Allan. Ainsi s'appelait (on ne l'ignore) le
gentleman qui adopta le rejeton d'un couple romanesque et famélique
d'acteurs de théâtre, fit parade de cette enfance développant
dans l'atmosphère de luxe la précocité ; puis, instrument
premier d'une destinée épouvantable, jeta dans la vie, nu,
avec des rêves impuissant à se débattre contre un
sort nouveau, l'homme jeune qui allait devenir Edgar Poe et payer
magnifiquement sa dette en menant, au sien uni, le nom d'un protecteur
à l'immortalité : or, l'avenir s'y refuse.
SONNET
Extérieurement
du moins et par l'hommage matériel, ce livre, achevant après
un laps très long la traduction de l'oeuvre d'histoires et de vers
laissé par Edgar Poe, peut passer pour un monument du goût
français au génie qui, à l'égal de nos maîtres
les plus chers ou vénérés, chez nous exerça
une influence. Toute la génération dès l'instant
où le grand Baudelaire produisit les Contes inoubliables, jusqu'à
maintenant qu'on lira ces Poèmes, a songé à Poe tant,
qu'il ne serait pas malsonnant, même envers les compatriotes du
rêveur américain, d'affirmer qu'ici la fleur éclatante
et nette de sa pensée, là-bas dépaysée d'abord,
trouve un sol authentique.
Le sonnet envoyé
par le traducteur des Poèmes, lors de l'érection à
Baltimore du tombeau de Poe, et lu en cette solennité, sert de
frontispice. Citer la double version américaine est un moyen que
j'ai de témoigner ma reconnaissance à deux femmes poëtes,
dont l'une joint son nom dans ces pages à ce qui concerne Poe,
et l'autre honore par mainte production les lettres de son pays.
Imitation libre de
Mrs Sarah Helen Whitman
THE
TOMB OF EDGAR POE
Even as eternity his soul reclaimed,
The poet's song ascended in a strain
So pure, the astonished age that had defamed,
Saw death transformed in that divine refrain.
While writhing coils of hydra-headed wrong,
Listening, and wondering at that heavenly song,
Deemed they had drunk of some foul mixture brewed
In Circe's maddening cup, with sorcery imbued.
Alas ! if from an alien to his clime,
No bas-relief may grace thy front sublime,
Stern block, in some obscure disaster hurled
From the rent heart of a primeval world,
Through storied centuries thou shalt proudly stand
In the memorial city of his land,
A silend monitor, austere and gray,
To warn the clamorous prood of harpies from their prey.
Traduction de Mrs
Louise Chandler Moulton
FOR THE POE MEMORIAL
Into himself resolved
by Death's great change,
The poet rouses with his clear, free tone,
His century too frightened to have known
That Death itself would praise in voice so strange.
'Twas like some hydra, who an Angel heard
Breathe strains too pure fort tongues less pure to tell,
And thought the shining one had drunk the spell
Of some black wave, all noisome and perturbed, -
Oh struggle that the earth with Heaven maintains !
If my belief may not be sculptured there,
To make the tomb above the poet's dust more fair, -
That block which ever dark disaster stains, -
At least that granite should in future stay
Poe's old blasphemers from their evil way.
Cet hommage aux signataires
de vers rendu, mes charmantes et pieuses associées dans la manifestation
si noble que fut la fête appelée le POE MEMORIAL, ou l'érection
du tombeau, me voici abrité contre le soupçon que j'enveloppe
des êtres d'élite dans aucun blâme.
A côté de l'Amérique que vous et moi portons haut
dans notre estime (il est, hélas ! comme un pays dans un pays),
j'en sais une à jamais offusquée par cet éclat trop
vif, Poe.
Que lui pourrait réclamer la race du prince spirituel de cet âge,
si superbement appelé aussi quelque part (1)
" un des plus grands héros littéraires " ; sinon
de ne l'avoir point asservie et forcée à l'admiration et
enchaînée à son triomphe. Reproche étrange
et pour la première fois peut-être formulé par les
bouches humaines ! pas dénué de sens. Le devoir est de
vaincre, et un inéluctable despotisme participe du génie.
Cette force, Poe l'avait (j'en appelle à l'admiration française
de ces temps qu'il a fascinée). Son tort fut simplement de n'être
placé dans le milieu exact, là où l'on exige du poëte
qu'il impose sa puissance. L'homme, qu'il fut, souffrit toujours de cette
erreur du sort ; et qui sait, - aux deux seules phases extrêmes
de sa vie quand il trempa les lèvres dans une coupe mauvaise, vers
le commencement et la fin, - si l'alcoolique de
naissance qui tout le temps qu'il vécut ou accomplit son oeuvre,
si noblement se garda d'un vice héréditaire et fatal, ne
l'Accueillit sur le tard, pour combattre à jamais avec l'illusion
latente dans le breuvage le vide d'une destinée extraordinaire
niée par les circonstances ! Comme de bonne heure, victime glorieuse
volontaire, il avait demandé à cette même drogue un
mal que ce peut être le devoir, pour un homme, de contracter,
et sa chance unique d'arriver à certaines altitudes spirituelles
prescrites mais que la nation dont il est, s'avoue incapable d'atteindre
par de légitimes moyens.
Arcane qui ne revêt
cette précision que dans l'absolu ; et peut, cependant, répandre
en la sénérité d'un peuple quelque trouble subtil.
Aussi je ne cesserai d'admirer le pratique moyen dont ces gens, incommodés
par tant de mystère insoluble, à jamais émanant du
coin de terre où gisait depuis un quart de siècle la dépouille
abandonnée de Poe, ont, sous le couvert d'un inutile et retardataire
tombeau, roulé là une pierre, immense, informe,
lourde, déprécatoire, comme pour bien boucher l'endroit
d'où s'exhalerait vers le ciel, ainsi qu'une pestilence, la juste
revendication d'une existence de Poëte par tous
interdite.
La biographie de Poe
n'est plus à faire chez nous :
le suprême tableau à la Delacroix, moitié réel
et moitié moral, dont Baudelaire a illustré la traduction
des Contes (ce chef-d'oeuvre d intuition française traduit (2)
précède une édition anglaise) hante à bon
droit les mémoires. Les notes rapides qu'on va peut-être
feuilleter ne traitent que de rares faits se rattachant par quelque point
à la conception ou à l'exécution des poèmes
: sans que j'empiète davantage sur la critique littéraire.
A qui, cependant,
voudrait connaître l'existence simple ou monotone d'homme de lettres
que mena véritablement le poëte (dans un pays où pareil
état est surtout un métier), je signale l'excellente Vie
de Poe par Gill (3) riche en détails certains
; et, introduction nécessaire aux Contes et aux Poèmes publiés
à Londres, le noble Mémoire mis par ce critique sagace et
loyal, John Ingram, avant la première de ses deux éditions
anglaises de l'OEuvre, durables comme l'oeuvre même.
(4)
NOTES SUR LES POÈMES
" Ces riens
sont recueillis et publiés une fois de
" plus, en vue principalement de les soustraire aux
" nombreuses améliorations auxquelles ils ont été
" soumis en faisant à l'aventure " le tour de la
" presse ". Je suis naturellement désireux que ce que
" j'ai écrit circule tel que je l'écrivis, s'il doit
le faire
" aucunement. Pour la défense de mon propre goût,
" néanmoins il m'incombe de dire que je ne crois pas
" que rien en ce volume soit d'un grand prix pour le
" public, ou me fasse grand honneur. Des événe-
" ments situés en dehors de toute maîtrise m'ont
" empêché de faire à aucune époque aucun
effort
" sérieux dans un champ qui, en des circonstances
" plus heureuses, aurait été celui de mon choix. Pour
" moi la poésie n'a pas été un but qu'on se
propose,
" mais une passion ; et il faut traiter les passions avec
" le plus grand respect ; elles ne doivent pas, elles ne
" peuvent pas être suscitées à volonté,
dans l'espoir des
" chétifs dédommagements, ou des louanges plus
" chétives encore, de l'humanité. E. A. P. "
Si peu de vers si
espacés mais où le poëte a su entière affirmer
sa vision poétique, fallait-il les réduire encore ? oui,
pour ne donner au lecteur nouveau attiré par ce titre des POÈMES,
que merveilles. Ainsi presque pas un des vingt morceaux qui ne soit en
son mode un chef-d'oeuvre unique, et ne produise sous une de ses facettes,
éclatante de feux spéciaux, ce qui toujours fut pour Poe,
ou fulgurant, ou translucide, pur comme le diamant, la poésie.
Divers fragments intimes et mondains, avec des jeux d'imagination d'importance
moindre, font suite à ce premier choix, intitulés par nous
(peut-être irrévérencieusement) : ROMANCES ET VERS
D'ALBUM.
Telle une division
de l'ouvrage, que nous avons osé préférer à
l'autre fournie par la perspicacité de J. H. Ingram, par Poe lui-même
indiquée, en poèmes de la Virilité et poèmes
écrits dans la Jeunesse. Maints vers juvéniles comptent
à nos yeux parmi les plus beaux et s'installent au lieu abandonné
par certaines pièces de relief insuffisant pour garder leur lustre,
en traduction.L'oeuvre
lyrique tient seule et toute dans ces pages,
fermées à des poèmes narratifs ou de longue haleine
: essais d'un esprit avant que sur lui ne régnât une esthétique
suprême, d'inévitable tyrannie.
Voilà bien
pour la première fois montré et réduit à soi-même,
cet ensemble dont le traducteur des HISTOIRES EXTRAORDINAIRES a pu dire
: " C'est quelque chose de profond et de miroitant comme le rêve,
de mystérieux et de parfait comme le cristal. (5)
" Il ajoute (pour notre peur) : " Une traduction de poésies
aussi voulues, aussi concentrées, peut être un rêve
caressant mais ne peut être qu'un rêve. (6)
"
Nul doute que le
poëte français n'eût à quelque heure tenté
ce rêve et donné à notre littérature un recueil
prenant place entre la traduction de la Prose et son propre livre des
FLEURS DU MAL. Chaque fois, du reste, qu'un des poèmes se trouva
encadré, soit en quelque dissertation, soit en un conte, de Poe,
nous en possédons une version magistrale de Baudelaire :
exception dans l'interdit qu'il porte. A défaut d'autre valeur
ou de celle d'impressions puissamment maniées par le génie
égal, voici un calque se hasarder sans prétention que rendre
quelques-uns des effets de sonorité extraordinaire de la musique
originelle, et ici et là peut-être, le sentiment même.
[Afin de faciliter la lecture, le texte de chaque scolie
figure après le poème correspondant sauf :]
Quant
au groupe formé par Eldorado,
vers de date tardive, Le Lac, A
la Rivière, chansons, stophes, supprimées de plusieurs
éditions, A ma Mère, l'héroïque
Madame Clemn, invocation mise par Baudelaire pieusement en dédicace
de la traduction des Histoires Extraordinaire ; enfin A.
M. L. S. (lire Marie Louise Shen) - à
F. S. O. (Frances S. Osgood), à F.
A..., et encore à- A la Science,
pas d'autres détails que ceux donnés au cours de cette énumération.
J'arrive au Colisée, rangé
par les éditeurs dans les poèmes définitifs, malgré
que le morceau m'ait toujours fait l'effet d'un simple fragment ou un
prélude d'oeuvre considérable délaissée, il
a une histoire connue : dans
le concours institué par un journal en vue de primer le meilleur
conte et le meilleur poème, c'est à l'incomparable beauté
du manuscrit que l'envoi de Poe dut d'attirer tout d'abord l'attention
des juges, deux prix lui furent décernés, un pour La
Barrique d'Amontillado, l'autre pour cette solennelle invocation aux
ruines de la Cité.
Fleurit l'euphonique
sonnet italien, appelant une illustration de keepsake, à Zante.
Rien ne clora notre
commentaire des poèmes traduits, mieux que l'énumération
de quelques pièces qui, pour les motifs exprimés plus haut,
n'ont point ici trouvé place.
Je procède,
aidé encore une fois par mon ami J. H. Ingram qui a recueilli,
en le tome IV de sa superbe édition, l'ensemble le plus complet
qui se soit jamais montré des poésies d'Edgar Poe :
Hymne
Une Valentine
Enigme
Les esprits des morts
Etoile du soir
Imitation
A...
|
Hymn.
A Valentine.
An Enigma.
Spirit of the dead.
Evening Star.
Imitation.
To...
|
(The
bowers whereat, in dreams, I see).
Notes [de
Mallarmé] :
(1) Baudelaire. Edgar Poe, sa vie et ses oeuvres. (Histoires
Extraordinaires).
(2) The Works of Edgar Allan Poe, including the choicest
of his Critical
Essays, now first published in this country with a study of his life and
writings
from the french of Charles Baudelaire. London : John Camden Hotten, 74
and 75.
Piccadilly.
(3) The life of Edgar Allan Poe, by William F. Gill,
illustrated (fourth
edition, revised and enlarged). New-York : Widdleton, London : Chato and
Windus, 1878.
(4) Edgar Allan Poe : his life, letters and opinions
by John H. Ingram,
with portraits of Poe and his mother Two vol. crown 8 vo, John Hogg, 13
Paternoster Row, London, 1880.
(5)
Notes nouvelles sur Edgar Poe. Nouvelles Histoires Extraordinaires.
Traduction Charles Baudelaire.
(6) Mêmes notes.
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